Irae Sin'Zaram

Trois Lunes aux ventres énormes, obèses et inquiétantes, surplombent le ciel déchiré de l'Outreterre et guettent avec avidité les mortels, ceux qui osent fouler le sable rouge de leurs pieds impurs. Elle se tient là, au milieu du carnage, un cadavre entre les bras. Autour d'elle, la Terre ricane et s'abreuve du sang, de ce sang si cher qui vient d'être versé. Les sbires de la Légion l'encerclent et la contemplent, ricanant eux aussi. Ses yeux pleurent des larmes de braises et brûlent sa chair, son cœur et son âme. Elle aurait aimé les sauver. Par le Puits de Soleil, elle l'aurait tant aimé. La carcasse sans vie du Capitaine qu'elle effleure de ses mains impuissantes s'anime soudain, ses paupières s'ouvrent et ses orbites sont vides, ses orbites ne sont que deux fragments de Néant, qui aspirent les êtres, les sucent et dégorgent une lie terrible et elle aussi, elle aussi va s'y noyer. Il suffirait d'y plonger pour oublier tous ses tourments, se replier dans ces entrailles chaudes, et s'oublier. À jamais. Les démons resserrent le cercle, murmurent des mots de Mort et de Destruction, tout autour d'elle. La jeune femme voudrait les faire taire, leur faire ravaler ces Mots interdits mais lentement, elle s’aperçoit que son corps s'abandonne à la Ténèbre. D'abord, il n'y a qu'un fourmillement dans les extrémités. Puis cette étrange sensation remonte, le long de ses mollets, de ses cuisses, ses doigts se tordent, deviennent bois, ses muscles se tétanisent, son visage se fige et, irrémédiablement, elle le sait, la paralysie finira par atteindre sa poitrine. Est-ce le cœur ou les poumons qui vont cesser de fonctionner en premier ? Va-t-elle mourir étouffée ? Elle voudrait hurler. Mais sa gorge est déjà fermée.

Sensation de froid, muscles endoloris. La paladine ouvre brutalement les yeux et attrape sa lame par pur réflexe avant de prendre conscience qu'elle est bien loin de l'Outreterre. La dague lui glisse d'entre les mains et elle se recroqueville contre le montant du lit, serrant ses draps d'une main encore tremblante, la peur au ventre. Après toutes ces années, ses cauchemars la hantent toujours. Toujours. Repoussant les couvertures trempées de sueur, elle se lève et se dirige vers l'armoire d'un pas chancelant. Malgré les nombreuses runes de pouvoirs gravées dans sa chair, tatouages étranges pour qui n'est pas initié, elle se sent faible. Foutu corps, chuchote-t-elle. Si fragile.

Elle écarte en grognant les lourdes portes de chêne, tâtonnant jusqu'à trouver ce qu'elle cherche : une boite noirâtre aux doux reflets violets. La sortant du placard, elle se met à la caresser, d'un geste presque amoureux, et la boîte semble soudain s'animer, se mettant à lui murmurer des choses. Après quelques minutes de cet étrange manège, elle la range précieusement et referme les battants, verrouillant le tout.

Commençant à s’habiller, elle avise soudain une lettre, échouée sur sa table de nuit et qui n'était pas là la veille. Elle l'attrape et l'ouvre, intriguée. « Mère est morte. Je me charge des frais. Jette le vieil artefact nérubien, il ne t'apportera rien de bon. » Un mot d'amour de son frère aîné. Laconique, comme à son habitude. Elle ne s’interroge même pas sur le fait qu'il sache où elle crèche, c'est son travail. Mère est morte. Sûrement tuée par sa satanée alchimie. Certaines choses doivent rester entre les mains des Puissances Supérieures, sous peine d'être puni. À cette pensée, elle ne peut s'empêcher de toucher une cicatrice sur sa hanche droite, une brûlure qui ne cicatrisera jamais. Le prix à payer pour qui veut jouer avec les Dragons. Serrant les dents, elle froisse le papier et l'envoie dans la corbeille, rageuse. Attrapant son bandeau noir, elle se contemple un instant dans le miroir. Ses yeux d'un vert pâle, paraissent presque éteints et sont devenus fragiles depuis l'incident qui l'a conduite, elle, fière commandante d'une petite troupe de Sin'Dorei, esclave puis mercenaire au service des Éthériens. Ce sont eux qui lui ont appris à enchanter divers tissus et métaux pour protéger ses pupilles, et ne pas finir aveugle. Une grimace de colère déformant brutalement ses traits, elle détourne le regard et termine de s'habiller, rassemblant son équipement pour sortir.

La journée va être longue... Après toutes ces années passées en Outreterre, le retour en Azeroth s'avère délicat. Tous ces bouleversement dont elle n'était que vaguement au courant, elle peut les voir à l’œuvre désormais. Comme beaucoup d'aventuriers, elle a fait un bref séjour en Norfendre puis en Pandarie et y a trouvé nombres de secrets. Mais les gens sont plus méfiants et cela fait des mois qu'elle cherche un emploi sans y parvenir ; une petite annonce pourrait cependant changer le cours de sa Destinée. Qui sait ?